Selon l'Organisation mondiale de la santé, le coronavirus (COVID-19) semble se propager plus lentement en Afrique qu'ailleurs dans le monde. Plusieurs explications sont mises en avant : la population relativement jeune du continent, ses taux d'obésité moins élevés et la faible densité de ses réseaux routiers qui a pour effet de limiter les déplacements. Mais cela peut également tenir au nombre limité de tests de dépistage qui pourrait conduire à sous-estimer l’ampleur des contaminations. Quoi qu’il en soit, il est probable que le virus couve actuellement dans des lieux favorisant sa transmission, comme les zones urbaines surpeuplées. La menace est donc toujours bien présente et risque de saturer des systèmes de santé déjà fragiles, tandis que les mesures de riposte, concentrées uniquement sur la pandémie, pourraient compromettre des progrès de développement durement obtenus .
Beaucoup de pays africains ont réagi sans délai pour contenir la propagation du virus. Cependant, les mesures de confinement et de fermeture des frontières ont entraîné d'immenses difficultés en particulier pour ceux qui vivent d’un emploi informel, comme les vendeurs ambulants ou les petits agriculteurs et commerçants. L'épidémie a déjà eu des répercussions sur la croissance économique et l’Afrique subsaharienne devrait connaître sa première récession depuis 25 ans.
Pour protéger les populations pauvres et vulnérables contre les chocs et les crises, mais aussi pour soutenir les personnes qui sont au bord de la pauvreté, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur des systèmes de protection sociale solides. La protection sociale a fait de grands progrès en Afrique subsaharienne, où plus de 45 pays ont mis en place des programmes de filets sociaux au cours des deux dernières décennies. Ces dispositifs ont vocation à maintenir à flot les personnes en grande difficulté, ce sont en quelque sorte des « assurances contre la pauvreté ». Mais outre leur rôle dans la lutte contre la pauvreté et le renforcement de la résilience et du capital humain à long terme, ils sont aussi très utiles pour fournir rapidement des aides en cas de choc climatique, de pandémie ou d’insécurité alimentaire.
La crise du coronavirus a fait prendre conscience aux dirigeants des pays africains de la nécessité de renforcer les programmes de protection sociale, non seulement pour relever les défis actuels, mais aussi pour se préparer à des événements inattendus dans un monde de plus en plus imprévisible. Situé au cœur de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est l’un de ces pays.
Protéger les pauvres en cas de coup dur
Connu pour la simplicité de son style de vie — il parcourait les rues de la capitale Ouagadougou sur un vieux vélo rouillé pendant ses quatre années au pouvoir —, Thomas Sankara est l'un des présidents les plus populaires du Burkina Faso, en partie grâce aux programmes sociaux massifs qu'il a lancés pour protéger ses concitoyens les plus pauvres .
Aujourd'hui, comme d'autres pays du Sahel, le Burkina Faso est en proie aux conflits, à une escalade rapide des attaques terroristes et aux déplacements forcés. Il doit aussi lutter contre des catastrophes naturelles et l'impact dévastateur du changement climatique. Et de surcroît, le pays doit maintenant faire face à la pandémie de COVID-19. Bien que le Burkina Faso ait connu une progression économique soutenue au cours des dix dernières années essentiellement grâce au dynamisme du secteur du coton et de l'or, ses principaux produits d'exportation, cette croissance n'a pas profité à la majorité de la population. Nombreux sont ceux qui vivent encore dans une pauvreté chronique.
Soucieux de mettre en place des politiques qui répondent plus efficacement aux besoins des plus pauvres, le gouvernement burkinabè a commandité en 2019 une étude sur les filets sociaux du pays (a) qui a permis de mettre en évidence des éléments absolument cruciaux. Ainsi, malgré les budgets importants consacrés à la protection sociale (2,7 % du PIB en 2018), moins de 3 % de la population du Burkina Faso était couverte et la plupart des bénéficiaires étaient relativement aisés. Toutefois, cette étude a également révélé qu'avec un meilleur ciblage — c'est-à-dire si les ressources allouées atteignaient effectivement les pauvres — le montant actuel des dépenses publiques pourrait combler l’écart de pauvreté (a). Ces conclusions ont conduit le gouvernement à adopter un cadre juridique qui établit des mécanismes d’identification pour atteindre les plus pauvres.
Grâce à cette meilleure compréhension des modalités de ciblage des pauvres, en particulier en période de choc, le gouvernement a pu rapidement réagir face à l'arrivée du coronavirus. Il a pu pour cela s'appuyer sur les systèmes de paiement et les registres de bénéficiaires existants, et en particulier sur le plus grand programme de protection sociale du pays, « Burkin-Naong-Sa Ya » (a). Ce programme, dont le nom en dialecte mooré signifie « éliminer la pauvreté au Burkina Faso », élargit actuellement ses transferts monétaires afin de les étendre à un plus grand nombre de ménages vulnérables. Ces versements en espèces en faveur de ceux qui en ont le plus besoin permettent en outre de préserver l’activité économique locale.
Soutenir les nouvelles populations vulnérables
Des initiatives sont également en cours pour étendre le système de protection sociale à ceux qui ne remplissent généralement pas les conditions requises pour bénéficier d’allocations, mais qui sont sur le point de basculer dans la pauvreté en raison de la pandémie : vendeurs ambulants, petits agriculteurs et commerçants et autres personnes employées dans le secteur informel paralysé par le confinement et la fermeture des frontières. Afin d’atteindre ces nouvelles populations vulnérables et quasi pauvres, il est indispensable d'innover pour élargir rapidement le périmètre des registres sociaux (a). Ce travail est en cours, et le Burkina Faso entend créer des « registres d'urgence » qui ne se limitent pas au seul critère des données fiscales pour déterminer l'éligibilité à l'aide. Les services sociaux recherchent activement des moyens innovants pour identifier ces nouvelles populations en difficulté, notamment en prenant en compte les anciens bénéficiaires de programmes de travaux publics. L'étape suivante consistera à préserver les moyens de subsistance. Pour cela, il faudra maintenir ou rétablir l'emploi en recourant à des mesures d'assurance chômage qui permettent d'indemniser les salariés pour les pertes de revenus causées par les nombreuses mesures de confinement et le ralentissement économique général.
Renforcer la résilience aux chocs futurs
Le Burkina Faso a su exploiter le potentiel des filets sociaux pour amortir l’impact économique et social du coronavirus, mais il doit maintenant redéfinir ses priorités de dépenses publiques pour renforcer la résilience du pays à de prochains chocs. L'étude de la Banque mondiale consacrée au système de protection sociale du pays a montré que ses coûteuses subventions énergétiques profitaient surtout aux riches et non aux pauvres. Des simulations ont ainsi révélé que les personnes vulnérables ne souffriraient guère de leur suppression. En revanche, le démantèlement des subventions pour le gaz permettrait à lui seul d’économiser l’équivalent de 0,36 % du PIB, soit peu ou prou le budget consacré à l'un des plus vastes programmes burkinabé de protection sociale. Aussi, en réorientant ces économies vers la protection sociale et en ciblant mieux les familles pauvres, le Burkina Faso serait en mesure de mettre en place un système national de protection sociale complet et efficace, résilient aux chocs.
La crise du coronavirus a rendu les filets sociaux plus importants que jamais, car ils contribuent à atténuer l’impact social et économique de chocs prévisibles ou imprévisibles. Mais, plus important encore, elle nous enseigne que la meilleure façon de protéger la population et d'améliorer sa résilience est de renforcer les programmes de protection sociale nationaux avant qu'un prochain choc se produise. Et ce travail commence aujourd’hui.
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