Les données d’enquête sur la situation économique des différents membres d’un ménage — ce qui recouvre l’emploi, l’utilisation du temps, la détention d’actifs et l’accès aux services financiers — sont essentielles pour comprendre et combattre les inégalités entre les sexes, qui se renforcent mutuellement, dans la vie économique et sociale. D’importantes lacunes subsistent cependant dans ces domaines, en particulier en ce qui concerne les enquêtes auprès des ménages à thèmes multiples. Or, ce sont elles qui permettraient d’analyser en profondeur les différents facteurs affectant le bien-être et les opportunités économiques des individus.
Pour remédier à ces failles, le programme LSMS+ de la Banque mondiale sur la mesure des niveaux de vie vise à optimiser la disponibilité et la qualité des données d’enquête individualisées collectées auprès des ménages des pays à revenu faible et intermédiaire . Le programme s’est intéressé d’abord à la détention d’actifs physiques et financiers par les hommes et les femmes et à leurs droits d’accès à ces actifs ainsi qu’à leur situation sur le plan du travail. Depuis son lancement, l’étude LSMS+ a travaillé sur trois volets :
- aider les bureaux nationaux de statistique à mettre en œuvre les recommandations internationales relatives à la collecte de données d’enquête individuelles, en insistant sur la conduite d’entretiens privés au sein des ménages avec les adultes qui les composent et en limitant au maximum le recours à des substituts pour répondre aux questionnaires ;
- améliorer les méthodes et proposer des directives pour la collecte de données d’enquête individuelles, notamment sur la possession d’actifs et l’utilisation du temps ;
- mener et diffuser des recherches stratégiques afin de mettre en avant l'utilité de données d’enquête ventilées par individu de meilleure qualité.
Le tableau 1 propose un aperçu des enquêtes nationales qui ont bénéficié à ce jour du soutien du programme LSMS+. Les données individuelles et anonymisées ainsi que la documentation tirée de ces enquêtes peuvent être librement consultées sur le site dédié de la Banque mondiale, en cliquant ici (a).
Notes : (1) Les enquêtes ont bénéficié du soutien technique et financier des études LSMS-ISA et LSMS+ ; elles ont par ailleurs pu utiliser la plateforme d’entretiens informatisée (CAPI) de la Banque mondiale, Survey Solutions (a). (2) Toutes les enquêtes ainsi que la taille des échantillons pour les entretiens individuels soutenus par l’étude LSMS+ sont représentatives à l’échelon national.
Le programme LSMS+ a récemment publié trois nouveaux rapports (a) en lien avec ces activités :
- Résultats des enquêtes en Afrique subsaharienne (a) (Éthiopie, Malawi et Tanzanie) ;
- Résultats de l’enquête au Cambodge (a) ;
- Présentation du programme et recommandations pour la collecte de données individuelles au sein des ménages sur la détention d’actifs et la situation sur le marché du travail (a), à partir de recommandations internationales existantes.
Voici quelques conclusions tirées de ces publications :
1) Le fait d’interroger en privé des adultes sur la détention d’actifs au lieu, comme c’est généralement le cas, d’interroger un seul membre du ménage (le plus compétent), peut entraîner des différences marquées dans la façon dont cet aspect est mesuré chez les hommes et les femmes.
Au Malawi par exemple, l’enquête LSMS+/IHPS s’est déroulée parallèlement à une autre enquête nationale (la quatrième enquête intégrée auprès des ménages ou ISH4), qui n’a interrogé que le membre « le plus compétent » du ménage sur la détention d’actifs et les droits des différents membres du foyer. Kilic et al.(2020a) (a) notent que l’enquête IHS4 conclut à un degré supérieur de détention exclusive des terres agricoles chez les hommes et à des taux moindres de cotitularité chez les femmes par rapport aux résultats de l’enquête IHPS.
En ce qui concerne l’inclusion financière, l’extension de la collecte de données individuelles sur la détention de comptes financiers dans l’étude LSMS+ au Malawi conduit également à une estimation supérieure à celle de l’enquête IHS4, avec des écarts plus importants pour les ménages plus aisés (en fonction des dépenses de consommation).
Figure 1. Malawi : part des ménages détenant un compte financier dans l’étude LSMS+ et comparaison avec l’enquête IHS4, par centile des dépenses par habitant
La collecte de données sur les actifs auprès des différents membres d’un ménage est problématique en ceci que ces derniers peuvent être en désaccord sur la question de savoir qui possède/a des droits sur tel ou tel actif, notamment la terre. Cependant, le degré d’accord sur les questions liées à la propriété foncière parmi les couples mariés interrogés séparément dans le cadre de l’étude LSMS+ est relativement élevé : c’est le cas pour environ 90 % des parcelles au Cambodge et en Éthiopie et pour environ 70 % des parcelles au Malawi et en Tanzanie.
2) L’importance accrue accordée à l’obtention d’informations autodéclarées et à la conduite d’entretiens privés avec des membres adultes du ménage influe sur les déclarations des hommes et des femmes relatives au travail et à l’emploi.
Les déclarations relatives au travail collectées auprès de substituts dans les études LSMS+ menées en Tanzanie et au Malawi étaient nettement inférieures à celles des autres enquêtes nationales réalisées dans ces pays (figure 2). De même, dans l’étude LSMS+ réalisée au Cambodge, plus de 90 % des personnes interrogées ont répondu elles-mêmes aux questions relatives à leur emploi. Kilic et al.(2020b) (a) soulignent également qu’au Malawi, ces différences entraînent des déclarations sur l’emploi nettement supérieures dans l’IHPS (étude LSMS+) par rapport à l’IHS4 (scénario ordinaire), avec des conséquences plus marquées pour les femmes et pour une période de rappel plus longue (12 mois).
Figure 2. Comparaison de la part des personnes interrogées par substitution dans le module consacré au travail dans l’étude LSMS+ et dans d’autres enquêtes nationales récentes
3) Les modules sur le travail et l’utilisation du temps dans les enquêtes soutenues par l’étude LSMS+ apportent un éclairage plus fin sur le travail non rémunéré.
Au Malawi, en Tanzanie et en Éthiopie, contrairement aux résultats d’enquêtes nationales récentes, l’étude LSMS+ révèle que les hommes et les femmes consacrent plus de temps aux tâches non marchandes, comme la corvée d’eau et de combustible. Par ailleurs, l’emploi du temps sur 24 heures au Cambodge, rempli par les répondants eux-mêmes, révèle des corrélations importantes avec d’autres domaines de la collecte de données au niveau individuel. La figure 3 montre que l’incidence du travail non rémunéré pendant les heures de travail est bien supérieure chez les femmes salariées que chez les hommes. D’autres résultats de l’étude LSMS+ au Cambodge révèlent que la détention d’actifs (en particulier les comptes financiers et les véhicules) est associée à un niveau moindre d’activité non rémunérée chez les femmes, notamment pour celles qui ne travaillent pas dans le secteur agricole — ce qui souligne l’importance de la collecte de données au niveau individuel dans ces deux domaines pour mieux cerner les opportunités économiques des femmes et leur mobilité.
Figure 3. Étude LSMS+ (a) au Cambodge : part des hommes et des femmes ayant indiqué dans le module consacré à l’utilisation du temps effectuer un travail non rémunéré, par paliers de 15 minutes et pour différentes catégories d’emploi
4) Des données supplémentaires permettant de nuancer les réponses sur la détention de terres et les droits fonciers révèlent d’importantes inégalités entre les sexes.
La formation des enquêteurs pour l’étude LSMS+ a insisté sur le fait que les réponses des membres du ménage sur les questions relatives aux structures de propriété et aux droits ne devaient pas forcément être les mêmes — le simple fait qu’un individu puisse mettre en valeur une parcelle ou y investir ne signifie pas nécessairement qu’il/elle a le droit de la vendre. Si les enquêtes soutenues par l’étude LSMS+ ont révélé des écarts entre les hommes et les femmes en matière de détention des terres, elles ont surtout mis en lumière des inégalités encore plus profondes pour ce qui concerne le droit de vendre et de léguer un bien foncier. La figure 4 montre que cela vaut particulièrement pour l’Afrique subsaharienne.
Figure 4. Part des propriétaires terriens n’ayant pas le droit de vendre ou de léguer leur bien
Dans l’ensemble, les enquêtes soutenues par l’étude LSMS+ ont mis en évidence de fortes inégalités entre les sexes sur le plan des opportunités économiques et, par conséquent, des pistes pour concevoir des politiques sensibles au genre. Forts de ces enseignements, nous continuerons à :
- aider les bureaux nationaux de statistique à collecter des données d’enquêtes individuelles sur la détention d’actifs et le travail : l’enquête par panel sur le marché du travail au Soudan sera la première à bénéficier de l’accompagnement de l’étude LSMS+ en 2021, en partenariat avec le bureau central de statistique du Soudan et l’Economic Research Forum ;
- engager des recherches méthodologiques afin d’optimiser les processus et les directives en matière de collecte de données individualisées sur la détention d’actifs et l’utilisation du temps : au cours des 12 prochains mois, les activités reposeront essentiellement sur les données existantes de l’étude LSMS+ et sur une nouvelle enquête méthodologique expérimentale portant sur la mesure de l’utilisation du temps, prévue au Malawi dans le courant de l’année 2021 ;
- entreprendre des recherches basées sur l’étude LSMS+ afin de mettre en évidence l’intérêt de données d’enquête ventilées par individu de meilleure qualité pour la recherche sur le développement et l’élaboration des politiques : à court terme, le programme portera sur l’inégalité de richesse et l’écart de richesse entre les sexes et sur les corrélations entre les différences intra-ménages en matière de pouvoir de négociation et d’utilisation du temps.
Pour en savoir plus sur l’étude LSMS+, cliquez ici (a). Pour obtenir d’autres données nationales ventilées par sexe et des statistiques genrées sur l’accès aux débouchés économiques, rendez-vous sur le portail de données sur le genre et l’égalité des sexes (a) de la Banque mondiale et consultez la fiche de conseils (a) pour vous guider parmi les informations disponibles.
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