Parce que les définitions nationales des zones urbaines diffèrent considérablement d’un pays à l’autre, il est difficile de comparer ces zones au niveau international. S'il n’est pas possible de comparer l’évolution des zones urbaines ou rurales entre les différents pays, il n’est pas possible non plus de tirer des enseignements des politiques appliquées au niveau national. Cela signifie également qu’il est impossible de comparer de manière significative les indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies en ce qui concerne les zones urbaines et rurales entre différents pays.
Pour faciliter les comparaisons au niveau mondial, une coalition de six organisations internationales a élaboré une nouvelle définition des agglomérations, des villes et zones à densité intermédiaire, et des zones rurales . Le 5 mars, la Commission de statistiques des Nations unies a approuvé le degré d’urbanisation en tant que méthode recommandée pour les comparaisons internationales.
De nombreux pays utilisent une taille population minimale afin de définir une zone urbaine, mais ce critère peut être fixé aussi bien à 200 (au Danemark), 2 000 (en Argentine) ou 5 000 (en Inde) qu’à 50 000 (au Japon), voire 100 000 (en Chine). Certains pays n’utilisent pas de définition statistique mais désignent les zones urbaines par une décision administrative. Dans d’autres pays, on utilise l’emploi par secteur ou la disponibilité d’infrastructures et de services pour déterminer si les établissements humains doivent être classés comme urbains ou ruraux.
En fin de compte, une fois que des zones ont été désignées comme rurales ou urbaines, il est rare qu’elles soient classées dans une autre catégorie. Cette résistance s’explique en partie pour des raisons budgétaires. C’est par exemple le cas en Inde, où reclasser une zone comme urbaine est susceptible de causer la perte de transferts gouvernementaux, ou de l’Égypte, où cela pourrait entraîner des investissements publics supplémentaires en raison d’exigences supérieures en matière de fournitures de services, notamment commissariats et tribunaux.
Une perspective plus large pour mesurer l’urbanisation
Il a été décidé d’adopter une perspective plus large afin de faciliter les comparaisons entre pays. Le degré d’urbanisation cherche à faire pour la définition de l’urbain ce que le seuil de pauvreté fixé à 1 dollar par jour a fait pour la mesure de la pauvreté dans les années 1990 , en introduisant une approche objective et fondée sur les données pour mesurer la pauvreté et en appliquant cette approche au niveau mondial.
Le degré d’urbanisation distingue trois types d’établissements humains :
- les agglomérations, qui comptent au moins 50 000 habitants sur des cellules d’une grille de densité contiguës (>1 500 habitants par km2);
- les villes et zones à densité intermédiaire, qui abritent une population d’au moins 5 000 habitants sur des cellules contiguës d'une densité d’au moins 300 habitants par km²; et
- les zones rurales, qui sont principalement composées de cellules à faible densité de population (2).
Cette nouvelle approche offre plusieurs avantages :
- Elle apporte de la simplicité et de la transparence. Elle applique à la grille de population la simple combinaison de la taille et de la densité de population plutôt qu’une multitude de critères ou de calculs complexes. Le nombre de pays disposant de leur propre grille de population va croissant. Plusieurs grilles de population ont été élaborées et sont disponibles gratuitement, notamment la grille de population par établissement humain (en anglais Global Human Settlement Population Grid ou GHS-POP). Le degré d’urbanisation estimé de chaque pays du monde utilisant la GHS-POP est disponible ici.
- Elle se fonde sur la taille et la densité de population. La taille de la population est utilisée dans plus de la moitié des définitions nationales des zones urbaines et rurales. Les seuils utilisés dans le degré d’urbanisation s’inspirent de ces définitions nationales. Néanmoins, cet outil utilise deux seuils au lieu d’un seul. Pour les agglomérations, il retient le critère de 50 000 habitants, comme au Japon. Pour les villes et les zones à densité intermédiaire, il retient 5 000 habitants. Sur les 100 pays qui utilisent la taille de la population, 85 utilisent le seuil de 5 000 habitants ou un seuil inférieur. Les seuils utilisés dans le degré d’urbanisation ont également été testés de manière à garantir une classification rigoureuse et fiable, ainsi qu’une répartition équilibrée de la population entre les trois catégories.
- Elle aide à suivre les progrès accomplis dans la réalisation des ODD. Les ODD s’accompagnent d’une multitude d’indicateurs qui doivent être collectés concernant les agglomérations et les zones urbaines et rurales, tels que l’accès à l’électricité, à l’eau, à internet et à des routes praticables en tout temps. Cependant, certaines définitions des zones urbaines se fondent sur l’accès à l’eau et à l’électricité, ce qui rend impossible le suivi de ces services dans les zones urbaines: en effet, toutes les zones urbaines ont de l’eau car, par définition, elles ne peuvent être classées comme urbaines que si elles fournissent un accès à l’eau. À titre d’illustration, les définitions utilisées par le Bangladesh, Cuba et le Panama comprennent toutes l’accès à l’eau. Parce que le degré d’urbanisation n’inclut pas les services ou l’infrastructure, il permet le suivi de ces services de manière non biaisée.
- Elle donne un aperçu des économies d’agglomération. Parce que la définition repose sur la concentration spatiale de la population, elle reflète la logique des économies d’agglomération. Le coût de la prestation de services tend à augmenter à mesure que la taille de la population décroît. De ce fait, l’accès à ces services est généralement meilleur dans les agglomérations et plus faible dans les zones rurales. Ainsi, l’accès à internet et le fait d’avoir un compte bancaire suivent un gradient urbain clair dans les quatre groupes de pays par revenu (graphiques 1 et 2 ci-dessous).
- Elle permet un suivi efficace en termes de coûts. Le degré d’urbanisation peut être utilisé pour agréger de nouveau des données existantes. Par exemple, si un institut de statistiques a mesuré les taux d’emploi locaux, il peut alors calculer les taux d’emploi par degré d’urbanisation. Des microdonnées géocodées peuvent également être agrégées, comme cela a été fait pour l’enquête mondiale Gallup menée dans 115 pays et pour l’enquête démographique et sanitaire réalisée dans 41 pays dans le cadre d’un nouveau rapport élaboré par Vernon Henderson et al. Cela a permis de montrer que l’accès à de l’eau potable gérée de manière sûre est meilleur dans les agglomérations, un peu moindre dans les villes et les zones à densité intermédiaire, et le plus faible dans les zones rurales (graphique 3) dans presque tous les pays couverts par cette dernière enquête.
Graphique 3. Accès à l’eau potable gérée de manière sûre dans une sélection de pays, 2010-2016
Comparaison entre le degré d’urbanisation et d’autres approches
Comme toute nouvelle méthode, le degré d’urbanisation soulève des questions, et il s’agit de savoir en quoi il est comparable aux méthodes existantes. Les principales questions soulevées par les instituts nationaux de statistiques et les universitaires sont abordées ci-dessous.
- La population rurale estimée est-elle trop faible ?
L’application du degré d’urbanisation à la grille de population mondiale GHS-POP aboutit à une part de la population rurale estimée à 24 % en 2015, ce qui est considérablement inférieur aux 46 % estimés sur la base des définitions nationales (graphique 4). Cette différence s’explique principalement par le fait que 12 grands pays classent les villes en zones rurales. La Chine et l’Inde sont à l’origine de la moitié de cette différence. La définition utilisée par la Chine indique explicitement que les villes et les petites agglomérations ne sont pas considérées comme urbaines, puisqu’elle utilise le seuil de 100 000 habitants pour les zones urbaines. L’Inde utilise un seuil de 5 000 habitants mais le combine avec d’autres critères. De ce fait, la plupart des villes sont classées comme zones rurales. 10 autres pays représentent 30 % de cette différence: le Bangladesh, la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Indonésie, le Nigeria, le Pakistan, le Soudan, l’Ouganda et le Viêt Nam. En bref, les trois quarts de la différence entre les pourcentages de population rurale correspondent à 12 pays.
Certains pays ne disposaient pas de données démographiques à haute résolution spatiale. L’application de cette méthode à une grille reposant sur des données plus précises pourrait conduire à une augmentation du pourcentage de la population rurale.
- La définition des zones urbaines et rurales devrait-elle inclure l’emploi dans l’agriculture ?
37 pays disposent d’une définition nationale de la zone urbaine incluant une part maximale de l’emploi dans l’agriculture. Ces pays sont principalement situés en Afrique et en Asie. La part de l’emploi dans l’agriculture varie toutefois considérablement entre les pays et selon le niveau de développement. Dans les pays à revenu élevé, cette part est de 3 % alors qu’elle s’élève à 63 % dans les pays à faible revenu (graphique 5). L’utilisation de ce critère dans une définition mondiale aboutirait à ce que des pays entiers deviennent ruraux ou urbains, ce qui constituerait un obstacle aux comparaisons. Par ailleurs, la part de l’emploi dans l’agriculture diminue rapidement. En 2000, 40 % de l’emploi mondial correspondait au secteur agricole. En 2018, ce pourcentage est tombé à 28 %. En conséquence, l’utilisation de ce critère réduirait également la comparabilité au fil du temps.
- La définition des zones urbaines et rurales devrait-elle se fonder exclusivement sur les zones bâties ?
Historiquement, les données relatives aux bâtiments avaient une plus grande résolution spatiale que les données relatives aux personnes. De ce fait, les définitions utilisaient les bâtiments en tant que critère indirect de la concentration spatiale de la population. À titre d’illustration, plusieurs pays nordiques définissent un établissement humain par la présence de bâtiments qui ne sont pas éloignés de plus de 200 mètres les uns des autres. Plusieurs universitaires utilisent également les bâtiments ou les zones bâties - voir, par exemple, l’Urban Extent (étendue urbaine) utilisé par Shlomo Angel ou la méthode de la densité du bâti mise au point par Marie-Pierre de Belleft et al. 2019. Néanmoins, avec l’amélioration qu’ont connue les données démographiques, cette approche indirecte n’est plus nécessaire.
De plus, la surface bâtie par habitant est étroitement liée aux revenus d’un pays, ce qui entraîne une distorsion de la part de la population dans les agglomérations et les zones rurales. Pour le démontrer, nous avons défini les agglomérations comme des cellules de 250 mètres de côté qui sont bâties à 50 % au moins, et les zones rurales comme des cellules de même dimension dans lesquelles le bâti représente moins de 25 %. Ces valeurs limites sont utilisées dans plusieurs définitions de la zone bâtie utilisées pour les zones urbaines et rurales.
Par rapport au degré d’urbanisation, les agglomérations définies uniquement par la zone bâtie ont une part de population urbaine supérieure de 17 points de pourcentage dans les pays à revenu élevé et inférieure de 9 points dans les pays à faible revenu (graphique 6). En ce qui concerne les zones rurales, l’utilisation de la zone bâtie augmente la part de la population rurale de 24 points de pourcentage dans les pays à faible revenu (graphique 7) et la réduit de 2 points de pourcentage dans les pays à revenu élevé. Cela rend les définitions des zones urbaines et rurales fondées sur la surface bâtie moins adaptées pour les comparaisons internationales.
Remarque: Les graphiques 6 et 7 montrent l’effet du passage à une définition des zones rurales et des agglomérations fondée sur la surface bâtie comparé au degré d'urbanisation, par niveau de revenu. Le graphique 6 montre la différence nationale moyenne entre la part de la population dans des cellules de 250 mètres de côté qui sont bâties à moins de 25 % et la part de la population rurale. Le graphique 7 montre la différence nationale moyenne entre la part de la population dans des cellules de 250 mètres de côté qui sont bâties à 50 % ou plus et la part de la population dans les agglomérations. Les données utilisées pour la zone bâtie et la population proviennent de GSHL BUILT et de POP.
- Une définition des zones urbaines et rurales devrait-elle reposer sur des seuils relatifs ou absolus ?
Certains universitaires ont plaidé en faveur de l’utilisation de seuils relatifs pour définir les zones urbaines et rurales. Cela pourrait servir, par exemple, à recenser les 10 zones les plus urbanisées d’un pays. Cependant, une définition au niveau mondial devrait garantir un haut niveau de comparabilité à la fois dans l’espace et dans le temps. La comparaison des 10 zones les plus urbanisées dans un pays avec les 10 zones les plus urbanisées d’un autre ne garantit pas que ces zones aient le même degré d’urbanisation. Le niveau d’urbanisation dans le monde va croissant mais un seuil relatif ne permet pas non plus de rendre compte de cette évolution. Les seuils relatifs ne permettent donc pas de comparer de manière efficace les données dans le temps et dans l’espace.
La méthode du degré d’urbanisation classe les agglomérations, les villes et zones à densité intermédiaire et les zones rurales de manière simple et transparente. En normalisant la méthode de classification et en l’appliquant au niveau mondial, elle peut contribuer à recenser les politiques appliquées dans différents pays pour améliorer la qualité de vie dans ces différentes zones et à mesurer leur efficacité. Elle permettra également de suivre l’accès aux services et aux infrastructures ainsi qu’à d’autres indicateurs des ODD d’une manière qui permet une comparaison et une agrégation significatives. Cette méthode sera encore testée et mise en œuvre dans de nombreux pays à travers le monde.
N’hésitez pas à faire part de vos observations ou à poser vos questions sur le degré d’urbanisation.
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