L’industrie sucrière a tenu par le passé une place importante dans le développement économique, en stimulant la création d’emplois et les investissements dans de nombreux autres secteurs. L’effet multiplicateur des sucreries est largement attesté. À Maurice, par exemple, le multiplicateur économique du raffinage du sucre s’établirait au total à 2,6, un chiffre supérieur aux secteurs du textile et de l’intermédiation financière. Mais aujourd’hui le sucre n’a plus la cote, et les pouvoirs publics, conscients des effets délétères des sucres ajoutés sur la santé, prennent désormais des mesures pour en réduire la consommation.
Vingt types différents (a) de sucres sont actuellement produits pour être ajoutés aux aliments ou aux boissons. Dans l’agroalimentaire, ce sont les producteurs de canne à sucre et de betterave sucrière qui reçoivent le plus d’aide publique, comme le montre l’estimation du soutien accordé aux producteurs mesurée en pourcentage des recettes agricoles brutes. En 2018, ils ont reçu près de 30 % des recettes agricoles au titre de l’aide (voir la figure 1), essentiellement sous la forme d’un soutien des prix du marché, une politique qui maintient les prix intérieurs du sucre à un niveau élevé, avec pour effet de décourager sa consommation tout en incitant à la production nationale.
Figure 1 : Estimation du soutien aux producteurs mesurée en pourcentage des recettes agricoles brutes totales (2018)
Note : Données provenant des statistiques de l’OCDE « Estimations du soutien aux producteurs et aux consommateurs » ; Agrimonitor ; calculs de l’auteur.
S’attaquer aux coûts sociaux du sucre
Quels sont les coûts sociaux du soutien à la production de sucres ajoutés, notamment en matière de santé ? Le marketing alimentaire, la croissance des supermarchés, l’urbanisation et la hausse des revenus sont autant de phénomènes corrélés à une consommation accrue de sucres libres (ajoutés ou présents naturellement dans le miel, les sirops, les jus de fruits et les jus de fruits à base de concentré). Cette évolution des modes d’alimentation et de vie (a) s'accompagne d’une progression de la prévalence de maladies non transmissibles comme le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains types de cancers, le surpoids et l’obésité. Un décès sur cinq dans le monde est dû à une alimentation déséquilibrée et le nombre de personnes en surpoids ou obèses a dépassé la barre des deux milliards, les populations défavorisées en payant le tribut le plus lourd. C’est en partie en raison de ce risque que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de ramener l’apport en sucres libres à moins de 10 % de la ration énergétique totale.
Figure 2 : Taxation des boissons sucrées dans le monde
Note : Taxes on Sugar-Sweetened Beverages: International Evidence and Experiences, Septembre 2020.
Plutôt que d’encourager la production nationale de sucre, il serait peut-être préférable que les politiques publiques s’orientent, par exemple, vers une taxation de la consommation de sucre. Ces recettes fiscales pourraient alors être mobilisées pour contrebalancer le coût des soins de santé, compte tenu de l’incidence de la consommation de sucres libres sur les maladies non transmissibles. L’OMS a formulé des axes stratégiques détaillés en vue de promouvoir une alimentation plus saine, notamment par des dispositions réglementaires, des taxes et l’éducation des populations. De nombreux pays ont commencé à taxer les boissons sucrées et d’autres produits à forte teneur en sucre, comme ils le font aussi pour le tabac et l’alcool (voir figure 2).
Les retombées positives de ces politiques sur la santé et l’économie sont de plus en plus attestées. Au Mexique, la taxe de 10 % sur les boissons sucrées (voir ici et ici [a]) a entraîné un recul de 7,2 % de la consommation au cours des deux premières années, avec à la clé une diminution de la charge de morbidité due aux maladies non transmissibles et jusqu’à un milliard de dollars d’économies sur dix ans. Et contrairement aux idées reçues, ces taxes sont progressives puisqu’elles bénéficient davantage aux populations défavorisées (a). La Banque mondiale, qui a procédé à une évaluation de l’efficacité des taxes sur les boissons sucrées (a), accompagnera les pays dans leurs efforts de réforme en faveur d’une fiscalité de la santé (a).
Pourquoi les États continuent-ils de soutenir la production de sucre ? Les raisons sont multiples : ce secteur emploie des travailleurs et agriculteurs à faibles revenus, l’abandon des plantations de canne à sucre et de betterave à sucre risque de nuire à l’environnement, ou encore la production de sucre est importante pour le développement économique local et la balance des paiements. Il est manifestement indispensable de disposer d’études qui envisagent des alternatives viables à la production de sucre et mesurent leur impact sur l’emploi et sous l'angle socio-environnemental. Quoi qu’il en soit, passer du soutien des prix du marché à une fiscalité sur les produits sucrés pourrait en décourager la consommation, tout en accroissant les recettes budgétaires pour répondre aux coûts qu’engendre la consommation de sucre sur la santé.
Harmoniser les politiques pour une meilleure santé
En harmonisant les politiques publiques en matière de santé et d’agriculture, les pays peuvent faire d’une pierre deux coups. Des possibilités existent pour faire converger des politiques agricoles favorables à la production de sucre et des politiques de santé destinées à juguler la consommation des sucres libres. Dans le cadre de son programme pour l'amélioration des systèmes alimentaires à l’horizon 2030 (a), la Banque mondiale aide les pays à repenser les politiques et les aides financières agricoles et à rendre plus abordable l'accès à une alimentation saine et nutritive.
Face à la crise alimentaire mondiale et aux contraintes budgétaires, cette refonte des dispositifs d’incitation agricole n’en est que plus opportune. Les États peuvent s’inspirer des programmes de transition mis en œuvre en faveur des producteurs de tabac (a), par exemple, pour soutenir le passage de la culture de canne à sucre et de la betterave sucrière à d’autres activités agricoles et rurales. Par ailleurs, d’autres débouchés peuvent également être promus, notamment dans le secteur de l’énergie. La faisabilité politique d’une telle réforme repose sur un effort de toute la communauté internationale en vue de l’élaboration d’un plan de transition en faveur des agriculteurs et des travailleurs de l’industrie sucrière. C’est maintenant qu’il faut agir.
Shobha Shetty, Barry Popkin (a), Hina Sherwani(a) et Alex Vaval Pierre Charles(a) ont collaboré à ce billet.
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