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Reconstruire en mieux après la crise : quels sont les enjeux pour les pays les plus pauvres ?

À la gare routière d?Antananarivo, la capitale de Madagascar, ces travailleurs repartent chez eux faute d?avoir pu trouver de quoi faire vivre leur famille à cause d?un confinement prolongé. Alors que les pays les plus pauvres du monde cherchent à relancer leur croissance et redonner du travail à un maximum de personnes, l?adoption d?une stratégie visant à « reconstruire en mieux » se justifie pleinement. (Photo : Henitsoa Rafalia / Banque mondiale) À la gare routière d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, ces travailleurs repartent chez eux faute d’avoir pu trouver de quoi faire vivre leur famille à cause d’un confinement prolongé. Alors que les pays les plus pauvres du monde cherchent à relancer leur croissance et redonner du travail à un maximum de personnes, l’adoption d’une stratégie visant à « reconstruire en mieux » se justifie pleinement. (Photo : Henitsoa Rafalia / Banque mondiale)

Trois lettres qui claquent, comme un appel à l’action. L’allitération se glisse facilement dans le discours de leaders internationaux comme le premier ministre britannique, Boris Johnson, ou le président des États-Unis, Joe Biden : BBB. Un sigle qui, en promettant de « reconstruire en mieux » (Building Back Better), laisse présager la sortie du tunnel dans lequel nous a plongés la pandémie de COVID-19. Mais que cela signifie-t-il vraiment pour les pays les plus pauvres ? Et comment ces pays, qui bénéficient de l’aide de la Banque mondiale à travers l’Association internationale de développement (IDA), peuvent-ils s’assurer d’avoir les ressources nécessaires pour concrétiser cette promesse ?

L’acte officiel de naissance de l’expression Building Back Better date de 2015, au moment de la conférence de Sendai sur la réduction des risques de catastrophe (a). Ce concept embrasse la notion globale de renforcement de la résilience grâce à des mesures équilibrées de réduction des risques allant de la reconstruction des infrastructures au renforcement des moyens de subsistance en passant par la relance de la croissance et la restauration du patrimoine culturel et environnemental locaux.

Trois ans plus tard, la Banque mondiale publie son premier rapport Building Back Better (a), où elle définit une feuille de route pour rebondir après une catastrophe avec le souci d’une solidité accrue (c’est-à-dire en devenant plus productifs et résilients), d’une action plus rapide (pour limiter l’impact du choc) et d’une plus grande inclusion (en veillant à ce que personne ne soit oublié). Ce rapport montre comment certains instruments spécifiques, comme l’anticipation financière et une protection sociale adaptative, peuvent réduire d’un tiers l’impact d’un choc et permettre ainsi à la planète d’éviter chaque année quelque 170 milliards de dollars de dégâts — sans parler, plus généralement, de leurs retombées économiques positives.

Reconstruire en mieux après la pandémie de COVID-19

Et puis le virus a frappé, faisant entrer le principe du Building Back Better dans l’usage courant. Les pays sont désormais confrontés à un double défi : surmonter aussi vite que possible le revers historique infligé aux progrès de développement et s’adapter aux mutations profondes qui transforment le monde.

Aujourd’hui, le principe du « reconstruire en mieux » est synonyme d’une reprise économique plus verte, plus inclusive et plus résiliente pour tourner la page de la pandémie.  Ces objectifs connexes sont la clé de la réalisation des Objectifs de développement durable dans un monde qui connaît une recrudescence de chocs aux effets toujours plus dévastateurs, faisant de la résilience et de l’inclusion deux aspects clés de la capacité à faire face.

Même si la situation varie entre pays IDA, la crise a mis en évidence trois leviers essentiels à actionner pour pouvoir avancer.

Premièrement, confrontés à une récession, un chômage de masse et l’évolution des comportements, des échanges et des chaînes d’approvisionnement, les pays doivent trouver des solutions pour relancer la croissance et remettre un maximum de personnes au travail en privilégiant les solutions vertes, le recours à la technologie et l’innovation. 

Ensuite, pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion exacerbées par les crises, il faut promouvoir l’équité et l’inclusion et s’attaquer aux inégalités structurelles, y compris en faisant appel à la technologie pour offrir des services sociaux plus solides et inclusifs  (santé, éducation, protection sociale) afin de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Enfin, la crise a souligné le rôle des gouvernements et la nécessité d’engager des politiques, des investissements et des réformes capables de s’atteler à une tâche toujours plus complexe  en vue de parvenir à la durabilité économique, environnementale et sociale.

Pourquoi les pays IDA ont-ils intérêt à adopter dès le départ une stratégie visant à reconstruire en mieux ?

Ce type d’approche leur permet de :

  1. Conserver en ligne de mire les objectifs de développement de long terme, essentiels même lorsque l’urgence est de sauver des vies et des moyens de subsistance. Des programmes de travaux publics bien conçus peuvent par exemple créer des emplois, soutenir les moyens de subsistance et compléter des politiques et des investissements promouvant à terme les secteurs verts. De même, le fait de favoriser l’introduction de la technologie dans l’éducation (a) peut atténuer les pertes d’apprentissage tout en contribuant à résoudre la crise des apprentissages à plus long terme.
  2. Optimiser les retombées positives des programmes de relance et de redressement, en mettant l’accent sur les domaines concourant à la durabilité budgétaire et environnementale. La baisse des prix du pétrole constitue ainsi une opportunité historique (a) pour réformer des incitations aux effets pervers et réorienter les budgets vers les dépenses sociales et les investissements écologiques tout en s’alignant sur les attentes du marché et en attirant des investissements privés en appui à un avenir décarboné.
  3. Progresser vers la réalisation de leurs objectifs climatiques, tout en agissant sur les enjeux de la sécurité alimentaire et en renforçant la résilience au climat à l’échelon local.
  4. Conforter leurs propres systèmes de prévention des pandémies et de riposte aux chocs et autres facteurs de stress, à l’instar des catastrophes naturelles et des conflits. Il s'agit notamment de cibler les ressources sur les zones vulnérables où l’exclusion, la fragilité, le conflit, la violence et le climat sont autant d’entraves à une croissance sans exclus.

S’ils ont de fortes retombées économiques positives, les investissements qui visent à reconstruire en mieux nécessitent souvent une mise de fonds préalable conséquente. Plusieurs études sur les systèmes de transport, d’énergie et d’adduction d’eau montrent par exemple que chaque dollar investi pour optimiser la résilience d’un nouvel ouvrage infrastructurel entraîne plus de 4 dollars d’économie sur toute la durée de vie de cet actif. De même, l’extension des systèmes de protection sociale s’accompagne de gains économiques sur le long terme, en renforçant la résilience et l’autosuffisance des bénéficiaires : mais elle exige une volonté et des investissements importants, y compris pour établir des registres sociaux et instituer des mécanismes ad hoc.

Sur le temps long, les stratégies de « reconstruction en mieux » contribuent également à rééquilibrer les finances publiques et améliorer la viabilité de la dette.  Cependant, pour profiter à plein des économies engendrées sur la durée, elles nécessitent d’avoir accès à des financements bon marché pour absorber les coûts initiaux.

Malgré le défi qui se profile en termes de ressources, plusieurs signaux sont encourageants

Pour reconstruire en mieux, il faut un niveau de financement bien supérieur à ce que les pays pauvres peuvent mobiliser seuls  ou aux ressources actuellement débloquées par les partenaires du développement. L’obtention des moyens requis pour regagner le terrain perdu et s’adapter au monde nouveau constitue un défi colossal , surtout dans un contexte d’érosion des ressources domestiques, d’alourdissement de la dette et de durcissement de l’accès aux marchés financiers. Pour ces pays, le besoin de financement extérieur devrait être considérablement plus élevé dans les années à venir qu’il ne l’a été dans le passé. Les pays aux prises avec une dette ou un déficit budgétaire importants seront particulièrement vulnérables, surtout s’ils sont exposés à un risque élevé de surendettement qui les rend très dépendants des financements accordés sous forme de dons.

La mobilisation de ressources pour reconstruire en mieux ne sera pas facile, au vu des pressions financières que subissent tous les pays du monde et sachant que les gouvernements donateurs sont eux-mêmes confrontés à des contraintes exceptionnelles. L’engagement pris l’an dernier par les pays du G20 (a) d’accroître leur soutien aux pays en développement victimes des effets sanitaires, économiques et sociaux de la COVID-19 fait partie des signaux bienvenus. Tout comme les avancées obtenues pour leur permettre d’acquérir et de distribuer les vaccins. Reste une inconnue : la communauté internationale sera-t-elle au rendez-vous pour la prochaine reconstitution des ressources de l’IDA ? Elle devra faire preuve d’ambition, faute de quoi les pays pauvres n’auront pas les moyens de « reconstruire en mieux ». 

Ce billet fait partie d’une série de publications consacrées aux solutions visant à garantir une reprise résiliente après la pandémie de COVID-19 dans les pays les plus pauvres du monde. Pour les informations les plus récentes, suivez @WBG_IDA et #IDAWorks

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Le Groupe de la Banque mondiale et la pandémie de coronavirus (COVID-19)


Auteurs

Georgia Harley

Chargée de stratégie, Association internationale de développement (IDA)

Yasmine Acheampong

Chargée des opérations, Politique opérationnelle et services aux pays à la Banque mondiale

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