Publié sur Opinions

Repenser la place du numérique et de l’IA dans l'éducation

Repenser la place du numérique et de l’IA dans l'éducation Un nouveau rapport met en lumière des changements de mentalité indispensables pour permettre aux décideurs et acteurs de terrain (pouvoirs publics, secteur privé, monde universitaire et société civile) d'opérer des transitions numériques dans l'éducation. Copyright : Elizaveta Tarasova/Banque mondiale

Menab (8 ans) vit en Éthiopie, fréquente une école où il n’y a pas l’électricité et n’a jamais utilisé internet. Sa maîtresse, Bethel (25 ans), aimerait suivre une formation à distance, mais le coût des données mobiles est trop onéreux pour elle. En Estonie, Hendrik, 14 ans, a accès, sous la supervision de son enseignant, à des supports d'apprentissage numériques interactifs fournis par l’État (a).

Pendant ce temps, en Argentine, Juan (10 ans) a du mal à apprendre à lire. Son maître lui a recommandé une application mobile, mais il a cessé de l’utiliser en raison des moqueries de ses camarades. Ayden (38 ans), coach en éducation numérique dans un district scolaire de Singapour, aide les enseignants à choisir, intégrer et exploiter efficacement les nouvelles technologies dans leur pédagogie.

Il ne s’agit là que d’un aperçu des difficultés et des progrès associés à l'avènement du numérique dans l’éducation et la formation professionnelle. Tirés des quatre coins du monde, ces exemples illustrent la vague numérique (a) qui transforme notre quotidien à une vitesse et une ampleur sans précédent, pour le meilleur et pour le pire.

Dans un contexte marqué par une crise mondiale des niveaux scolaires et des compétences, conjuguée à des avancées technologiques rapides, les inégalités et l’exclusion sont aujourd’hui exacerbées par une fracture numérique toujours plus grande. Cette situation a des répercussions considérables sur les systèmes éducatifs et les résultats des élèves dans le monde entier, avec des effets particulièrement préjudiciables pour les populations pauvres et marginalisées.

Les systèmes d’éducation et de formation dans un monde en pleine évolution

Les systèmes d’éducation et de formation jouent un rôle déterminant dans l’amélioration de l’insertion sur le marché du travail, de la croissance économique dans tous les secteurs et de la mobilité sociale intergénérationnelle. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail de 2019 (a) basée sur un examen des politiques et législations de 65 pays dans quatre régions du monde, les mesures axées sur l’éducation et la formation représentent 40 à 60 % des interventions en faveur de l’emploi des jeunes (graphique 1). À l’heure où les outils numériques et d’intelligence artificielle (IA) renouvellent et enrichissent le travail, ces interventions doivent faciliter la transition numérique des économies dans tous les secteurs en formant des ressources humaines qualifiées pour des marchés du travail aux mutations rapides.

 

Graphique 1. Mesures axées sur l’éducation et la formation en pourcentage de l’ensemble des interventions en faveur de l’emploi des jeunes dans 65 pays, par région

Graphique 1. Mesures axées sur l’éducation et la formation en pourcentage des interventions en faveur de l’emploi des jeunes

 

Source : Marcelo Cuautle Segovia, Mariana Costa Checa. 2021. Education and training for rapidly evolving labor markets. Is the future ready for youth? Youth employment policies for evolving labor markets, pp.66-84, OIT. Analyse réalisée en 2019 par les auteurs sur 478 documents relatifs aux politiques et législations sur l’emploi des jeunes. 


Dans le même temps, les systèmes éducatifs doivent évoluer pour devenir des « organisations apprenantes » qui, grâce au numérique et à des améliorations continues, sont capables de s’adapter et d’offrir des possibilités d’apprentissage pertinentes, équitables et résilientes à tous les élèves. Les systèmes éducatifs doivent être à la fois des producteurs rapides et des consommateurs avides de compétences numériques et de données à grande échelle, tout en plaçant l’individu au cœur de ces transitions (a).

Ce faisant, il est essentiel de garder à l’esprit les principes primordiaux de l’apprentissage. Les décennies de recherche qui nous précèdent ont bien établi que l’apprentissage est fondamentalement le fruit des interactions entre apprenants et enseignants, l’environnement (physique et désormais numérique) et d’autres facteurs contextuels jouant le rôle d'intermédiaire (graphique 2). Les enseignants sont et resteront au cœur de la qualité des apprentissages. Il est donc d’une importance cruciale de reconnaître leur rôle et de les soutenir afin qu’ils renforcent et améliorent leurs compétences de « développeur de potentiel », d’accompagnateur et de pédagogue critique.


Graphique 2. Conception de l’apprentissage comme fruit des interactions entre humains, machines et facteurs contextuels 

Graphique 2. Conception de l’apprentissage comme fruit des interactions entre humains, machines et facteurs contextuels

Source : Graphique adapté de Darling-Hammond et al. (2014) et réutilisé avec l’autorisation des auteurs.
 

Trois changements d’optique pour des transformations systémiques.

Dans ce contexte, les acteurs du secteur de l’éducation et de la formation doivent évoluer, afin d'opérer les transitions numériques qui s’imposent de manière proactive, stratégique et selon une approche fondée sur des données probantes. Pour ce faire, un nouveau rapport de la Banque mondiale, intitulé en anglais Digital Pathways for Education : Enabling Greater Impact for All, met en évidence trois changements d’optique essentiels à l’intention des décideurs et acteurs de terrain (pouvoirs publics, secteur privé, monde universitaire et société civile). Ces évolutions sont cruciales pour impulser des transformations systémiques.


Graphique 3. Des changements d’optique essentiels pour les transitions numériques dans l’éducation et la formation

Graphique 3. Des changements d’optique essentiels pour les transitions numériques dans l’éducation et la formation

 

  1. Une approche systémique et adaptée à l’objectif visé : passer d’interventions numériques ponctuelles à court terme à des stratégies plus systémiques axées sur l’apprentissage et le développement des compétences. Une telle approche systémique consiste en des mesures de politique publique proactives combinées à des partenariats constructifs avec le secteur privé et la société civile pour permettre des innovations efficaces à grande échelle. Elle nécessite des écosystèmes d’innovation et des marchés privés solides, que les pouvoirs publics doivent soutenir et encourager afin qu’ils soient en mesure de fournir des produits éducatifs adaptés au contexte, de haute qualité et d’un bon rapport coût-efficacité. Il est en même temps essentiel d’établir et de faire appliquer un cadre réglementaire qui promeut l’accès équitable à une éducation et une formation de qualité et qui encourage une concurrence saine et loyale.

  2. Des socles numériques intégrés : ne pas se contenter d’outils numériques fragmentés mais investir dans des systèmes numériques complets et intégrés qui améliorent l’administration et la gestion de l’éducation, ainsi que les enseignements et les apprentissages. Lorsque les solutions numériques sont incorporées et intégrées de manière cohérente dans la gouvernance stratégique, l’infrastructure technologique et des données, et la conception et la mise en œuvre des politiques publiques, cela favorise l’inclusion, la sécurité, la confidentialité et le respect de normes de haute qualité pour tous.

  3. Une approche centrée sur l’éducation : évoluer d’une vision technocentrée de l’éducation vers des approches qui privilégient les apprentissages, les compétences et les acquis. La technologie et l'environnement d’apprentissage interagissent avec les caractéristiques de l’élève et de l’enseignant (graphique 2). Ces éléments se conjuguent pour façonner l’expérience de l’apprenant et ses résultats. Il est donc nécessaire que les éducateurs, les chercheurs, les technologues et les développeurs soient associés à la conception, à l'expérimentation et au déploiement de produits et de services éducatifs numériques.

Ce billet est le premier d’une série consacrée à la place du numérique et de l’IA dans les systèmes éducatifs. Dans notre prochaine publication, nous explorerons les mesures concrètes qui peuvent être envisagées pour orienter les stratégies numériques pour l'éducation, accompagnées d’outils et d’exemples.

Avertissement : Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes.


Halil Dundar

Chef du service Éducation dans le monde

Rita Almeida

Responsable du secteur de l'éducation pour la région Europe et Asie centrale.

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