Publié sur The Water Blog

Gestion intégrée par problème : une solution pour la sécurité hydrique dans le G5 Sahel

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Femmes à un puits d?eau au Tchad. Crédit photo : Pierre Laborde/Shutterstock Femmes à un puits d’eau au Tchad. Crédit photo : Pierre Laborde/Shutterstock

La Banque mondiale est sur le point de changer radicalement sa manière de travailler dans le domaine des eaux transfrontalières en Afrique de l’Ouest, alors même que les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) sont confrontés à des défis sans précédent. Il est temps de passer d’une approche de gestion intégrée des ressources en eau à un cadre régional de sécurité de l’eau plus complet, comme le montre un nouveau rapport publié par la Banque mondiale sur le renforcement de la sécurité régionale de l’eau pour une plus grande résilience dans les pays du G5 Sahel (Strengthening Regional Water Security for Greater Resilience in the G5 Sahel).

Au Sahel, où la plupart des ressources en eau sont transfrontalières, l’eau représente à la fois une contrainte majeure et un vecteur de développement.  Les moyens de subsistance et les économies de la région dépendent en grande partie de cette précieuse ressource ; lorsqu’elles sont bien gérées, les eaux partagées peuvent contribuer à la paix, à la prospérité et à la sécurité. Malheureusement, l’insécurité hydrique dans les zones rurales du Sahel se conjugue à l’insécurité énergétique, à l’insécurité alimentaire, aux crises écologiques, aux conflits et aux migrations, engendrant souvent une spirale de dégradation progressive des ressources et d’accroissement de la pauvreté.

Ces problèmes locaux sont aggravés au niveau régional par le développement d’importantes infrastructures transfrontalières (barrages), des prélèvements d’eau non réglementés par les grands utilisateurs d’eau (capitales et grands projets d’irrigation) et par la pollution due à l’exploitation minière et à la mauvaise qualité de l’assainissement urbain. Faute d’une gestion adéquate, ces derniers peuvent entraîner un partage inégal des avantages, des effets négatifs sur l’environnement, des tensions et des conflits. Il est urgent de relever ces défis pour répondre aux priorités de développement de la région.

Les projets régionaux menés par la Banque mondiale dans le domaine de l’eau en Afrique de l’Ouest ces 20 dernières années ont essentiellement visé à promouvoir la coopération et la gestion des eaux transfrontalières  grâce, essentiellement, à la poursuite d’une approche de gestion intégrée des ressources en eau mise en œuvre par les organismes de bassins fluviaux, qui étaient des interlocuteurs évidents. Un document de travail présentant une rétrospective récente de cette collaboration révèle que les résultats sont mitigés. Malgré l’obtention de divers résultats tangibles et intangibles, notamment dans les bassins des fleuves Sénégal et Niger, il apparaît clairement que les défis actuels nécessitent un modèle d’intervention plus général. En outre, si le lien entre la sécurité hydrique et la sécurité et la stabilité globales est désormais largement reconnu, la Banque mondiale ne l’a guère pris en compte dans les activités régionales qu’elle a menées jusqu’à présent dans le domaine de la gestion des eaux transfrontalières. 

Une famille remplit des réservoirs d’eau en Afrique de l’Ouest. Crédits photo : Commission du bassin du lac Tchad (CBLT)
Une famille remplit des réservoirs d’eau en Afrique de l’Ouest. Crédits photo : Commission du bassin du lac Tchad (CBLT)

S’il demeure essentiel de définir l’orientation de la coopération régionale dans le domaine de l’eau à un haut niveau, les problèmes de sécurité hydrique locaux risquent d’aggraver et d’intensifier des problèmes socio-économiques plus larges ainsi que la fragilité et de se propager au-delà des frontières, voire au niveau régional, si rien n’est fait pour y remédier. Par exemple, le manque d’herbes pour les animaux et la pénurie d’eau poussent les éleveurs à migrer vers les zones agricoles, souvent situées le long des cours d’eau permanents, ce qui crée des tensions avec les agriculteurs. Renforcer la sécurité hydrique locale dans des lieux stratégiques, y compris les points chauds fragiles, peut, par contre, favoriser la résolution des problèmes transfrontaliers et régionaux au Sahel de trois manières principales : i) en réduisant les migrations environnementales et en aidant les communautés d’accueil ; ii) en réduisant les conflits entre agriculteurs et éleveurs ; et iii) en restaurant la confiance des citoyens vis-à-vis du gouvernement et en contribuant à la sécurité générale. 

Il importe donc de déterminer comment la Banque mondiale peut contribuer efficacement à renforcer la sécurité hydrique pour stimuler le développement socio-économique et réduire la fragilité et les conflits dans les pays du G5 Sahel ?  Étant donné la situation qui règne actuellement au Sahel et les enseignements tirés des interventions de la Banque mondiale dans la région, une approche de gestion intégrée par problème de la sécurité hydrique, qui pourrait s’avérer plus efficace qu’une application linéaire et normative des principes de la gestion intégrée des ressources en eau centrée sur un organisme de bassin, semble s’imposer. La gestion par problème donne lieu à la délimitation d’une zone géographique caractérisée par les mêmes problèmes et les mêmes acteurs, dans laquelle une action collective peut être entreprise en raison de la proximité et des intérêts tangibles partagés par des régions ou des pays voisins. Le recours à une approche de gestion par problème, qui privilégie les interventions concrètes et l’obtention de résultats au regard d’objectifs communs, offre plus de possibilités d’améliorer la sécurité de l’eau que les méthodes traditionnelles. 

Cette approche permet aussi de former des partenariats et de décider des modalités de mise en œuvre avec plus de souplesse, en fonction de l’économie politique et des capacités d’exécution. Il importe de noter que cette approche n’empêche pas les organismes de bassin de jouer un rôle important : elle contribue en fait à déterminer le rôle qui leur convient le mieux et à cibler les domaines dans lesquels un changement est envisageable. Par exemple, des organismes de bassin comme l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et l’Autorité du bassin du Niger (ABN) demeurent des interlocuteurs stratégiques pour la prise de décisions au niveau régional, notamment en ce qui concerne le partage de connaissances nécessaires à la conception et à l’exploitation concertées et en connaissance de cause des grands barrages. La gestion par problème ne remplace pas non plus la gestion par bassin versant — mais permet aux acteurs locaux, régionaux, nationaux et de développement de mener les actions appropriées pour le bassin versant.

Pourquoi une gestion intégrée ? Les défis auxquels la région est actuellement confrontée dépassent les approches sectorielles traditionnelles de la sécurité de l’eau, et exigent de nouvelles mesures. Le cadre de gestion intégrée des ressources en eau par problème élargit la portée traditionnelle des interventions transfrontalières sur l’eau dans le Sahel pour : i) couvrir l’ensemble des ressources en eau, y compris les eaux souterraines profondes et peu profondes, les rivières permanentes et saisonnières, les précipitations et le ruissellement, au lieu de se limiter aux principaux fleuves transfrontaliers ; ii) mieux intégrer les différentes utilisations de l’eau dans le cadre d’une unique intervention définie géographiquement ; et iii) aborder les questions plus larges de la fragilité et des conflits. Les interventions dans le domaine de l’eau doivent également être accompagnées de toute une série de services annexes qui peuvent concourir à la réalisation d’un même objectif, tant dans le domaine socio-économique que dans celui de la stabilité. La délimitation géographique d’une approche de gestion intégrée par problème se concentre sur une situation donnée et les défis transfrontaliers associés, et permet de coordonner la recherche de solutions locales au problème hydrique avec les opérations menées dans d’autres secteurs, comme les routes, les transports, les marchés, l’électricité, l’éducation et la santé, afin d’optimiser les résultats obtenus aux niveaux transfrontalier et régional.

Notre rapport présente 14 principes directeurs pour guider la mise en œuvre d’une gestion intégrée par problème dans le cadre des futures opérations axées sur la sécurité de l’eau dans la région du Sahel.  Les principes directeurs sont classés en trois catégories en fonction du niveau auquel les défis liés à la sécurité hydrique sont considérés, de manière à diversifier les interventions de la Banque mondiale dans le domaine de la coopération transfrontalière : i) les principes généraux liés à la collaboration transversale et au choix des modalités de mise en œuvre, ainsi que d’autres principes relatifs à la gestion des données et au renforcement des institutions ; ii) la conception d’interventions locales produisant toute la gamme des avantages, y compris aux niveaux transfrontalier et régional ; et iii) le renforcement de la coordination régionale en matière de sécurité hydrique (par exemple, la planification et la gestion des grandes infrastructures installées sur les ressources hydriques partagées).

En conclusion, il est nécessaire que les acteurs du développement adoptent une approche de gestion intégrée par problème pour promouvoir la sécurité hydrique au Sahel. Définir la sécurité hydrique sous l’angle des problèmes locaux et régionaux permet d’élargir le champ de la coopération transfrontalière et de la faire évoluer dans ces deux directions au niveau le mieux adapté à chaque problème. Il ne sera probablement pas facile d’appliquer tous ces principes dans le cadre des projets à venir de la Banque mondiale. Comme pour toute innovation, il faudra du temps pour maîtriser cette approche. Mais si nous y parvenons, nous aurons fait un pas de plus en direction de la sécurité hydrique des pays du G5 Sahel. 
 


Auteurs

Sanjay Pahuja

Senior Water Resources Specialist

Cecilia Borgia

Water Resources Management Specialist

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