Offres spontanées dans l’infrastructure : parvenir à un juste équilibre entre incitations et concurrence

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Photo: kupicoo/ iStock

Promouvoir l’initiative et l’innovation du secteur privé tout en assurant une mise en concurrence : c’est le dilemme que doivent résoudre les pouvoirs publics qui souhaitent encadrer les offres spontanées dans l’infrastructure. Dans un précédent billet, nous avons souligné qu’il fallait considérer avec prudence les offres non sollicitées, à savoir comme une procédure exceptionnelle pour la passation des marchés publics. Une bonne politique de gestion des offres spontanées doit permettre de répondre aux principes de transparence et de prévisibilité, et de préserver l’intérêt public. 
 
Un pays qui accepte la possibilité d’offres non sollicitées et qui adopte des mesures pour les traiter s’attend à être saisi de ce type de projet par les entreprises. En même temps, il doit s’assurer du juste prix et de la rentabilité du projet proposé. Mais qu’est-ce qui incitera le secteur privé à présenter des offres non sollicitées si l’État organise ensuite une mise en concurrence ?  Comment une administration publique peut-elle encourager les offres spontanées, tout en attirant suffisamment de candidatures concurrentes?

La négociation directe est-elle la solution ? 

Nombreux sont ceux à penser que la négociation directe est la solution. Or, comme le montre un rapport sur le sujet, elle affaiblit la position des pouvoirs publics, sans garantir une exécution plus rapide, ni des projets meilleurs et innovants. Dans la plupart des pays étudiés, les offres non sollicitées font l’objet d’un appel d’offres concurrentiel, car les projets négociés directement suscitent souvent des controverses quant à la transparence et à l’information, ce qui peut retarder leur réalisation. Aux yeux des pouvoirs publics, les offres spontanées doivent donner lieu à une mise en concurrence, par défaut, puisque c’est la méthode la plus susceptible d’offrir un maximum d’avantages, tant sur le plan financier que social. Cela vaut également pour le secteur privé : selon une enquête auprès d’entreprises aux États-Unis, 70 % privilégient des appels d’offres concurrentiels et admettent qu’il est dans leur intérêt de suivre une réglementation transparente et une procédure de mise en concurrence. Par conséquent, on voit que le secteur privé est partant.

c’est dès lors aux pouvoirs publics de trouver un juste équilibre entre inciter le secteur privé à présenter des soumissions appropriées et récompenser l’auteur d’une offre non sollicitée sans pour autant fausser ni décourager la concurrence. Le Groupe de la Banque mondiale a défini des lignes directrices pour la gestion des offres non sollicitées dans le cadre de projets d’ infrastructure. Il y énonce des recommandations et des conseils permettant aux administrations publiques d’élaborer une politique de traitement de ces offres qui maintiennent des conditions de concurrence équitables.

Faut-il rembourser le coût des études ? 

Dans le cas d’une mise en concurrence, on conseille au pays d’élaborer ses propres études et de limiter la participation de l’entreprise qui fait une offre spontanée, afin de ne pas lui octroyer des avantages stratégiques susceptibles de fausser la concurrence. Cependant, si cette entreprise est tenue d’effectuer des études de faisabilité, elle s’attend à être dédommagée des frais correspondants. Dans des pays comme le Chili, le Pérou ou l’Italie, ainsi que dans l’État de Virginie (États-Unis), il est fréquent que les autorités remboursent le coût des études au moment de l’appel d’offres ou de l’adjudication. C’est un bon moyen, là encore, de veiller à des conditions de concurrence équitables. Faute de quoi l’auteur d’une offre non sollicitée serait désavantagé et supporterait des dépenses que d’autres candidats n’auraient pas, eux, engagées.

En outre, l’administration publique doit avoir une bonne idée du coût et de l’ampleur des études que l’entité privée doit mener. C’est pourquoi il est recommandé de conclure un accord de développement de projet définissant le rôle de l’entreprise qui présente une offre non sollicitée, ses responsabilités et les modalités de remboursement. L’État de Virginie, par exemple, ne rembourse les coûts d’élaboration d’un projet que si ce type d’accord a été signé.

La question des incitations

Au stade de l’appel d’offres, les pouvoirs publics peuvent recourir à des dispositifs d’incitations qui permettent de soumettre les candidatures à une tension concurrentielle et d’éviter les distorsions qui favoriseraient l’émetteur d’une offre spontanée.

Avec la présélection automatique, l’auteur d’une offre non sollicitée figure directement sur la liste restreinte des candidats en lice pour la dernière phase. Le mécanisme de bonus le fait bénéficier d’une petite « prime », généralement exprimée en points de pourcentage lors de l’évaluation des offres. C’est ce que fait, par exemple, le Chili, où cette pratique ne décourage pas d’autres candidats de participer, et de remporter ainsi des contrats. Dans d’autres cas, comme en Afrique du Sud et en Virginie, l’entité qui présente une offre non sollicitée ne dispose d’ aucune incitation. Le remboursement des frais liés aux études de faisabilité peut néanmoins encourager des offres spontanées de qualité. Ces approches ne s’excluent pas mutuellement.  L’essentiel est d’offrir à l’auteur d’une offre spontanée un (éventuel) petit avantage, sans pour autant rendre le marché moins attrayant aux yeux des autres candidats.  

Autre forme d’incitation, le droit de présenter une offre équivalente : l’émetteur d’une offre non sollicitée peut s’aligner sur la meilleure proposition concurrente en vue d’obtenir le marché. C’est un mécanisme que les lignes directrices recommandent vivement d’éviter, car les autres candidats hésiteront alors à déployer des moyens pour élaborer une offre s’ils savent que celle-ci risque d’être reprise par l’initiateur du projet. De fait, notre rapport montre que les pays qui l’autorisent, notamment l’Italie, les Philippines et la Colombie, peinent à attirer des candidats.

Les règles du jeu doivent être claires

Les incitations destinées à promouvoir les offres spontanées doivent absolument s’inscrire dans un cadre bien structuré et clairement défini.  Une saine concurrence dépend aussi des bonnes pratiques mises en place plus généralement par un pays dans le domaine des contrats de partenariat avec le secteur privé, notamment : la transparence et l’information, afin d’éviter tout soupçon de corruption et de légitimer le processus, la définition de critères minimum (tels que la capacité technique et financière de l’entreprise qui fait une offre non sollicitée, ou des études de préfaisabilité), de manière à éliminer les propositions non sérieuses et de faible qualité), et un délai suffisant pour attirer d’autres candidats et leur laisser le temps d’établir leur proposition. Une politique pertinente et globale préservera l’intérêt public en veillant à l’équité et à la compétitivité d’un bout à l’autre de la procédure.

C’est aux pouvoirs publics de concilier tous ces aspects et d’évaluer quel mécanisme incitatif conviendrait le mieux pour son marché et sa politique de traitement des offres spontanées. Vu les complexités liées à ces dernières, l’État est en droit d’être exigeant. Une entité privée qui fait pression sur les autorités pour signer immédiatement un contrat d’exclusivité et éviter la mise en concurrence, qui s’abstient de communiquer certains documents, et qui affirme qu’elle accélèrera les délais, ne recherche probablement que des opportunités de rente. Dans une situation où le risque de corruption est jugé très élevé, l’administration publique souhaite-t-elle ce type de partenaire ?

Des projets bien structurés lancés par le secteur public restent, somme toute, le meilleur moyen de garantir la mise en concurrence et la rentabilité.  Les autorités désireuses de prendre en compte les offres non sollicitées doivent être à même d’attirer des candidats privés sérieux. Elles peuvent y parvenir, entre autres, grâce à un cadre transparent et clair pour les appels d’offres, accompagné d’incitations bien calibrées.

Pour en savoir plus sur les lignes directrices du Groupe de la Banque mondiale relatives aux offres spontanées, nous vous invitons à consulter les principales conclusions et recommandations de notre rapport.



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Auteurs

Philippe Neves

Senior Infrastructure Specialist, Public-Private Infrastructure Advisory Facility (PPIAF), World Bank

Juan Samos Tie

Principal Industry Specialist

Giulia Motolese

Analyst, Global Infrastructure Facility (GIF)

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