En 1996, lorsque Jim Wolfensohn (a) présidait le Groupe de la Banque mondiale, il a déclaré qu’il fallait combattre le « cancer de la corruption » de la même manière que nous combattons la pauvreté, la faim et la maladie. S’il existait certes de nouvelles recherches montrant que des institutions publiques faibles mais aussi des politiques économiques malavisées font le lit de la corruption, nombreux étaient ceux qui pensaient que la corruption relève non pas de l’économie mais de la politique, et qu’il vaut mieux laisser le soin de régler cette question aux pouvoirs publics qu’aux spécialistes du développement.
Mais l’argument de M. Wolfensohn était convaincant et merveilleusement simple : étant donné que la corruption détourne au profit des riches des ressources destinées aux pauvres, qu’elle fait augmenter les coûts pour les entreprises, qu’elle fausse les dépenses publiques et qu’elle décourage les investisseurs étrangers, nous devons la combattre. Enfin, il a décrit la corruption comme un obstacle majeur à un développement sain et équitable. Tenant compte de cet objectif de transparence et d’obligation de rendre des comptes, la Banque a intégré la lutte contre la corruption et la nécessité d’une bonne gouvernance dans son programme pour le développement. Près de 20 ans plus tard, il est peut-être difficile d’apprécier l’importance de ce moment.
Nous savons aujourd’hui qu’il est possible, de notre vivant, de mettre fin à l’extrême pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée. Mais nous savons également que ce sera difficile. Tous les pays devront faire de leur mieux dans chaque domaine du développement : de la santé à l’énergie en passant par l’éducation et par tous les autres domaines couverts par les 17 nouveaux Objectifs de développement durable. Parmi eux, il y en a un qui préfigure les cibles de développement de demain. C’est l’objectif n°16, qui appelle à « promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes » en mettant en place « à tous les niveaux des institutions efficaces, responsables et ouvertes ».
Partout dans le monde, les citoyens veulent une administration publique juste, se sentir en sécurité et pouvoir accéder à une justice transparente. Mais une gouvernance solide n’est pas simplement bénéfique en tant que telle, elle forme aussi l’une des pièces maîtresses du développement. L’une ne va pas sans l’autre.
Notre travail au sein du Groupe de la Banque mondiale nous a appris qu’il existait une corrélation forte et positive entre la qualité des institutions et la prospérité d’un pays.
En revanche, une mauvaise gestion et une corruption chroniques sapent le moral des citoyens et leur confiance dans l’État. La corruption accentue en outre la pauvreté car les pauvres, contraints de verser des pots-de-vin en échange de services comme la santé et l’éducation, y sont plus vulnérables. La corruption a des effets dévastateurs sur les individus, qui se retrouvent pris au piège de la pauvreté ou qui ne peuvent pas réaliser leur potentiel. C’est pourquoi, si l’on veut favoriser une croissance inclusive, il est essentiel de renforcer la confiance des citoyens.
Nous avons beaucoup appris depuis que la bonne gouvernance a été intégrée à nos priorités et, même s’il n’y a pas de clé magique, des solutions existent.
Ainsi, un processus de budgétisation (a) transparent et ouvert améliore les résultats du développement, mais si l’on veut qu’il ait un réel impact, la participation des citoyens est impérative : il faut tenir compte de leurs revendications et les décideurs politiques doivent leur rendre des comptes. Il importe également que des institutions spécialisées contrôlent l’exécution du budget. Un processus ouvert rend l’utilisation des fonds publics plus efficiente et efficace et renforce la confiance des citoyens dans les instances qui les gouvernent.
En Afrique du Sud, par exemple, des organisations de la société civile se sont appuyées sur les données budgétaires pour obtenir une augmentation des aides à l’enfance (a).
Toutes les études montrent que les budgets participatifs favorisent le développement : recul de la mortalité infantile au Brésil, élargissement de la couverture des services de base en Inde, programmes de protection sociale mieux ciblés au Mexique.
Les marchés publics constituent, eux aussi, un aspect critique. Lorsque l’État veut concrétiser ses grands objectifs prioritaires (que ce soit la construction de routes et de barrages ou la fourniture de médicaments dans les établissements de santé et de manuels dans les écoles), il doit généralement effectuer une transaction financière de gros montant. Étant donné les sommes en jeu (souvent 15 à 25 % du PIB du pays), les marchés publics sont particulièrement exposés à la corruption. La réforme des marchés publics (a) peut permettre à l’État de réaliser des économies et d’accélérer la prestation des services, ce qui, à son tour, améliorera le moral des citoyens et leur confiance dans les pouvoirs publics.
En Tunisie, la Banque mondiale a aidé les autorités nationales à introduire un nouveau système d’achats publics en ligne, qui a porté de 7 % à 40 % la proportion des contrats livrés en moins de 120 jours.
Parfois, il s’agit simplement pour les citoyens d’être reconnus. Au Bangladesh, comme dans de nombreux autres pays, l’absence de papiers d’identité rend difficile l’ouverture d’un compte en banque, l’enregistrement de biens fonciers ou l’encaissement des prestations de protection sociale. Nous travaillons avec les autorités de ce pays pour qu’un plus grand nombre de citoyens aient une carte d’identité : ils sont près de 85 % aujourd’hui, contre 10 % environ il y a une dizaine d’années. Ils peuvent désormais accéder à certains services sans avoir à passer par de longues procédures visant à prouver leur existence.
L’Objectif de développement durable n° 16 est celui « des peuples ». Il est bon qu’un principe aussi vital pour la lutte contre la pauvreté y soit énoncé : le droit de chacun à être reconnu, à être traité de façon équitable et à exprimer son avis sur l’avenir de son pays.
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