La technologie offre de nouveaux moyens de prévenir les violences faites aux femmes et d'y faire face, mais elle fournit aussi de nouvelles possibilités de perpétrer de tels actes. Ces enjeux étaient au menu des discussions des chercheurs et des juristes réunis par le Groupe de la Banque mondiale à l'occasion de l’édition 2019 de la semaine Droit, justice et développement.
Réduire le risque de harcèlement sexuel et améliorer l'accès des femmes à des services dédiés : c’est notamment ce que permet déjà la technologie, qui contribue à assurer un accès plus facile et plus complet à l'information et aux services, y compris pour les victimes de violence.
Par exemple, MyPlan (a) est une application mobile conçue pour permettre aux victimes de violences conjugales d’obtenir en toute sécurité une aide à la décision. Des études menées aux États-Unis ont en effet montré que, grâce à ces outils, les victimes se sentent mieux soutenues et plus confiantes au moment de prendre des décisions relatives à leur propre sécurité. Des chercheurs de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health adaptent aujourd'hui MyPlan (a) au contexte des pays à revenu faible et intermédiaire, comme la République kirghize (a).
Par ailleurs, après plusieurs années d'essais sur le terrain, l'organisation Physicians for Human Rights (a) a lancé MediCapt (a), une application mobile qui permet aux médecins du Kenya et de République démocratique du Congo de recueillir, consigner et préserver des preuves médico-légales à l'appui de poursuites judiciaires en cas de violences sexuelles.
Les deux projets sont soutenus par le concours Development Marketplace pour l’innovation dans la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes (a), un partenariat noué avec la Sexual Violence Research Initiative (a) et dont l’objectif est de faire progresser la recherche empirique sur la prévention et la réponse aux violences de genre dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Les chercheurs et professionnels du terrain qui travaillent sur ces applications soulignent les aspects suivants :
- La technologie ne remplace pas les approches conventionnelles, mais elle peut renforcer les mécanismes existants et venir en complément des mesures visant à assurer la prise en charge des victimes par des professionnels dûment formés.
- Les solutions technologiques doivent être conçues en collaboration avec celles auxquelles elles sont destinées, d'égal à égal, afin de garantir qu'elles soient culturellement adaptées, pertinentes et acceptées. Cela peut être coûteux et prendre beaucoup de temps. Physicians for Human Rights a cependant démontré l'efficacité d'un processus de co-conception pour renforcer les compétences des personnels de santé et de justice et mettre au point une application effectivement utile.
- Les solutions technologiques exigent des investissements et un suivi continus, ce qui est souvent négligé. Les institutions partenaires doivent être précisément informées des besoins afin que les technologies restent pertinentes et pérennes. Dans le cadre de son action avec des autorités municipales, Physicians for Human Rights s'assure que les coûts de fonctionnement sont budgétisés pour l'année à venir.
- La fracture digitale entre les sexes ne doit pas être ignorée, car les disparités hommes-femmes en matière de compétences informatiques comme d'accessibilité économique et physique aux équipements nécessaires limitent la capacité des victimes à utiliser les ressources numériques.
- Enfin, quel que soit le type de technologie utilisée, il est essentiel de veiller à ce que les victimes puissent se tourner vers un réseau structuré et spécialisé d'accompagnement et d'assistance (a) et de mettre en place tout un écosystème de soutien.
Mais si toutes ces pistes sont prometteuses, la technologie crée aussi de nouveaux risques, car les agresseurs peuvent s'en servir pour surveiller, harceler, menacer, intimider, usurper des identités et traquer les victimes.
L’International Center for Research on Women a élaboré une définition de cette forme de cyberviolence : les « violences de genre favorisées par la technologie » (a) désignent toute action occasionnant un préjudice à une personne en raison de son identité sexuelle ou de genre et commise en utilisant internet et/ou les technologies mobiles.
Cette définition vise à englober tout l'éventail des comportements et des tactiques en jeu, et elle indique clairement que ces formes de violence en ligne ont souvent des conséquences graves dans le monde réel.
Les recherches qui tentent de mesurer leur prévalence se sont surtout concentrées jusqu’à présent sur les pays à revenu élevé. Néanmoins, l’American Bar Association s'est associée à la société RIWI (a) pour conduire une étude axée sur les pays à revenu faible et intermédiaire.
Avec 40 000 personnes interrogées dans 15 pays, cette enquête révèle que près de 40 % d'entre elles ne se sentent pas à l'abri de la violence ou du harcèlement en ligne, et que ces violences sont le plus souvent commises par des inconnus.
Comme d'autres formes de violence à l'égard des femmes, celles que la technologie facilite peuvent avoir des effets aussi oppressants qu'insidieux. Plus de 85 % des personnes interrogées ayant été victimes de violence en ligne disent en subir des conséquences dans le monde réel, par exemple des craintes pour leur sécurité, un sentiment d'angoisse ou d'abattement.
La violence à l'égard des femmes est une pandémie mondiale et un problème aux multiples facettes qui ne peut être traité efficacement en l'abordant sous un seul angle . À l’heure où la technologie fournit de nouveaux outils aux acteurs du développement, aux chercheurs et aux professionnels sur le terrain pour mieux prévenir et combattre cette violence, il convient d’être prudent avant d’intégrer ces solutions à notre panoplie de ressources éprouvées (a) et de les exploiter avec précaution.
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