Programmes sociaux, assurance chômage et autres indemnités : les filets de sécurité dont disposent les pays riches vont jouer un rôle fondamental pour atténuer les effets de la récession qui s’annonce et accélérer la reprise économique. Dans les pays et les régions pauvres, ce sont les envois de fonds des migrants qui assurent principalement cette fonction d’amortisseur social en aidant les ménages à faire face à des dépenses imprévues et à investir dans un avenir meilleur. Alors que les remises migratoires ont atteint un montant record de 706 milliards de dollars en 2019, ce filet de sécurité est aujourd’hui menacé par les pertes d’emplois dans le secteur des services , éminemment tributaire des travailleurs migrants, et par la fermeture des agences de transfert d’argent, considérées comme des entreprises non essentielles.
Le moindre changement dans les modalités de fonctionnement des envois de fonds risque de bouleverser à terme les systèmes financiers des pays en développement. Étant donné l’étendue et le poids de ces transferts pour les personnes qui survivent avec seulement quelques dollars par jour, les mesures visant à diminuer le coût des transactions et à faciliter l’envoi et la réception de ces fonds auront pour effet immédiat de soulager le quotidien des migrants et de leurs familles. Compte tenu de leur importance pour la stabilité financière de nombreux pays, ces stratégies sont à même de favoriser la reprise à terme. Une fois la crise sanitaire immédiate endiguée, la priorité devrait être à l’adoption rapide de services financiers numériques afin de faciliter les remises migratoires et de réduire leur coût.
Les personnes qui dépendent le plus des remises migratoires sont les plus exposées aux effets de la pandémie
Selon les données de la Banque mondiale (a), les marchés émergents et les économies en développement ont reçu en 2019 des envois de fonds totalisant plus de 500 milliards de dollars. Dans 66 pays, ces envois ressortaient à plus de 5 % du PIB, dépassant souvent les investissements directs étrangers et le montant de l'aide publique au développement (a). Dans certains pays comme Haïti, le Honduras et le Népal, cette proportion excédait les 20 %. Plusieurs économies parmi les principaux pays d’origine des remises migratoires (États-Unis, Suisse, Allemagne, France et Italie) sont à l’arrêt en raison de la pandémie de Covid-19 et les emplois dans les services ont été durement touchés dès le début de la crise sanitaire. Les migrants qui travaillent dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et de la beauté ont perdu leur emploi, sans possibilité d’être indemnisés par l’État. Pire encore : en raison des restrictions de déplacement, ils ne peuvent pas revenir dans leur pays d'origine. Ces populations ont besoin d'un appui ciblé.
Ceux qui travaillent encore (dans le secteur des soins de santé, par exemple) risquent de rencontrer des difficultés pour envoyer des fonds en raison de l’arrêt des activités. Même en temps favorable, l’envoi et la réception des transferts d’argent n’ont rien de simple. Beaucoup doivent se déplacer en agence et respecter des horaires précis. En temps de pandémie, comme les déplacements sont limités, envoyer de l’argent peut être un parcours du combattant, surtout si l’on ne dispose d’aucune solution numérique ou si l’on ne maîtrise pas ces services. Dans de nombreux pays, les agences de transfert d’argent ont baissé rideau, sans qu’aucune disposition particulière ne reconnaisse le caractère essentiel de leur activité. Dans les cas où des exemptions ont été prises, l’information a été imparfaitement transmise aux autorités locales. Les files d'attente sont souvent longues, en raison du nombre réduit d'agents et d'heures d'ouverture restreintes.
Quand les solutions dématérialisées existent, les expéditeurs et les bénéficiaires peuvent se retrouver face à d’autres difficultés. Dans les principaux pays destinataires, la détention d’un compte bancaire et les paiements numériques sont à ce jour peu fréquents, ce qui limite les options de transfert. La plupart des pays en développement qui dépendent des remises migratoires cumulent un double handicap, avec un faible taux de possession d’un compte bancaire et d’utilisation des paiements numériques.
Vers des frais toujours plus onéreux ?
Les services financiers numériques facilitent à la fois l’envoi et la réception des fonds mais, grâce à la technologie, ils peuvent également réduire la ponction prélevée sur chaque transfert. Fin 2019, le coût moyen d’un transfert de 200 dollars dans le monde ressortait à 6,82 %, soit 13,64 dollars. Depuis une dizaine d’années, les principaux pays d’origine des envois de fonds se sont engagés à réduire ces frais. L’Objectif de développement durable 10.c.1 vise à réduire ce coût à 6 dollars en moyenne d’ici 2030. La Banque mondiale suit régulièrement les prix pratiqués dans 367 grands couloirs de transfert à travers une base de données dédiée, baptisée Remittance Prices Worldwide.
Puisqu’il s’agit d’une transaction internationale, une opération de remise migratoire s’accompagne généralement d’une conversion des devises, à moins que le bénéficiaire ne puisse recevoir ces fonds dans la même devise que celle du pays d’origine. En général, les agences de transfert d’argent gardent des positions de change dans un certain nombre de devises à un instant donné et fixent le taux de conversion des devises pour les transferts de fonds en fonction du taux en vigueur. Dans un contexte de grande incertitude (comme aujourd’hui), la volatilité des marchés des changes accroît la difficulté de fixer ces taux avec assurance, ce qui renchérit les frais. Ce facteur, auquel s’ajoutent des coûts d’exploitation plus élevés découlant des perturbations opérationnelles, pourrait exercer à court terme une pression à la hausse sur les prix des envois de fonds.
Un appel à l’action
À moyen terme, la reprise des remises migratoires dépendra largement du succès des plans de relance dans les pays du G20 et les autres pays d’origine des envois de fonds, ainsi que de la dynamique générale des flux migratoires et des marchés du travail. Autre urgence : soutenir les populations de migrants dans les pays d’accueil par des mesures ciblées.
À court terme, la Banque mondiale formule les recommandations suivantes pour soutenir les remises migratoires :
- Les pouvoirs publics devraient considérer les agences de transfert d’argent comme des activités essentielles et atténuer les éventuelles répercussions opérationnelles sur leur fonctionnement.
- Les pouvoirs publics devraient proposer aux agences de transferts de fonds des instruments adaptés pour gérer efficacement leurs risques de crédit et de liquidité.
À moyen terme, la Banque mondiale recommande les actions clés suivantes pour accélérer les efforts de réduction des prix des envois de fonds, dans le souci de soulager les effets du chômage de masse et la précarité des populations de migrants dans les pays d’accueil :
- adopter les nouveaux modèles émergents pour procéder à l’envoi et au décaissement de fonds par voie numérique, en levant de manière adéquate les freins réglementaires et infrastructurels ;
- appuyer l’accès universel aux services financiers dans les pays destinataires et pour les travailleurs migrants dans les pays d’origine des fonds ;
- améliorer les systèmes nationaux de paiement en favorisant l’interopérabilité et la rapidité des services, au profit des remises migratoires ;
- renforcer les capacités réglementaires des pays destinataires dans le but d’améliorer l’application des exigences de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (a) et soutenir l’élaboration de solutions d’identification numérique ;
- promouvoir le développement de solutions globales et intégrées de paiement à l’international pour les échanges commerciaux des MPME, le commerce électronique et les remises migratoires.
La Banque mondiale va continuer pour sa part d’effectuer un suivi des services d’envois de fonds disponibles dans le monde et de travailler avec toutes les parties prenantes dans le souci d’accroître la transparence et l’efficacité de ce marché, conformément aux principes généraux définis en collaboration avec le CPMI (a).
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