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Dans les pays en développement, les villes n'exploitent pas tout leur potentiel

Bandung, Indonesia?Slums on the banks of the Cikapundung River in Bandung. | © shutterstock.com Bandung, Indonesia—Slums on the banks of the Cikapundung River in Bandung. | © shutterstock.com

Pendant des siècles, les villes ont servi de refuge à des millions de personnes fuyant les guerres, les famines et d'autres drames. Toutefois, les villes elles-mêmes sont vulnérables aux chocs, qu'il s'agisse de la surpopulation, de la maladie, de la violence ou de l'agitation sociale. Dans quelle mesure les villes des pays en développement jouent-elles leur rôle d'amortisseur ?  C'est sur cette question que nous nous penchons dans un nouveau rapport intitulé Des villes dynamiques.

Les années 2020 auront été marquées par une succession de crises : COVID-19, inflation, changement climatique et troubles sociaux, pour ne citer que les plus importantes. Dans les pays en développement, les villes n'ont pas été des amortisseurs efficaces, comme le démontrent les quatre constats suivants.

  1. L'impact économique de la COVID-19 a été bien pire dans ces villes. La maladie et les mesures prises pour l'endiguer ont, dans les deux cas, plombé l'activité économique urbaine partout dans le monde. Cependant, les villes des pays en développement ont subi des contractions économiques plus marquées et une reprise plus lente que celles des pays développés.
     

Figure 1 : Les villes des pays en développement ont été plus durement frappées par la COVID-19

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Figure 1 : Les villes des pays en développement ont été plus durement frappées par la COVID-19
Source : Khan et al. 2022.
 
  1. La surpopulation a amplifié les risques de contagion à la COVID-19. Plus de 35 % de la population urbaine des pays en développement vit dans des bidonvilles. Autrement dit, la surpopulation est une caractéristique de nombreuses villes de ces pays. Les gens vivent dans des logements insalubres, ils manquent d'espace libre et les infrastructures ne sont pas adaptées à leur situation. Durant la pandémie, la plupart des citadins étaient tout simplement dans l'impossibilité de respecter la distanciation physique, ce qui a conduit à la formation de foyers de contagion (figure 2).
     

Figure 2 : La surpopulation a favorisé les foyers de contagion à la COVID-19 à Kinshasa

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Figure 2 : La surpopulation a favorisé les foyers de contagion à la COVID-19 à Kinshasa
Note : la couleur représente l'intensité du foyer, de faible (jaune) à forte (rouge), mais tous les foyers se trouvaient déjà dans des zones à haut risque.
Source : Lall et Wahba 2021.
 
  1. Les colères de Dame Nature frappent plus durement les villes des pays en développement. Les inondations freinent l'activité économique et leurs effets sont plus importants dans les villes des pays en développement. On y a ainsi observé que les lumières nocturnes (un indicateur de l'activité économique) ont baissé de 8,3 %, contre seulement 1,4 % dans les pays à revenu élevé. Dans la capitale jordanienne, Amman, plus de la moitié des ménages à risque ont des revenus faibles et peu de moyens pour faire face aux inondations. Or environ 66 900 ménages d'Amman sont potentiellement exposés aux inondations causées par les pluies (a), dont 34 300 familles à faible revenu. Dans la ville d'Accra, les inondations entraînent de lourdes pertes d'actifs pour une grande partie des ménages pauvres, même si la probabilité d'inondation pour eux n'est pas plus élevée que pour le reste de la population (figure 3).
     

Figure 3 : Les inondations à Accra entraînent de lourdes pertes d'actifs pour une grande partie des ménages pauvres

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Figure 3 : Les inondations à Accra entraînent de lourdes pertes d'actifs pour une grande partie des ménages pauvres
Source : Erman et al. 2018.
 
  1. Les bénéfices économiques sont accaparés par les élites et les privilégiés. Dans 14 bidonvilles de Bangalore, en Inde, l'investissement dans l'éducation était la première priorité des ménages, et les enfants des bidonvilles sont en général plus instruits que leurs parents. Dans les bidonvilles de Jakarta, le niveau d'éducation s'est amélioré. Cependant, une meilleure éducation n'est pas synonyme de plus grande mobilité professionnelle, que ce soit en Inde ou en Indonésie. La plupart des habitants des bidonvilles — en particulier les femmes — y travaillent aussi. Ils ne peuvent pas obtenir d'emplois plus formels et mieux rémunérés parce qu'ils n'ont accès à aucun réseau pour trouver de meilleurs emplois et sont souvent coupés du centre-ville. Ces habitants subissent également une mobilité sociale fortement descendante s'ils tombent malades ou s'ils sont victimes d'autres chocs.

Alors, que peuvent faire ces villes pour mieux amortir les chocs ? De nombreuses politiques ont été recommandées au fil des ans : mettre en place des marchés fonciers et du travail formels, relier les quartiers de manière efficace, fournir des services de base de manière plus équitable, etc. Si certaines de ces politiques sont techniquement difficiles ou coûteuses, d'autres le sont moins. Pourtant, trop de villes des pays en développement ne parviennent pas à mener à bien les réformes et les investissements les plus élémentaires. Pourquoi ?

Dans le rapport Des villes dynamiques, nous avons examiné comment la confiance et la légitimité — ce que les citoyens attendent de leurs fonctionnaires, et vice versa — façonnent le contrat social. Sans légitimité, le respect des réglementations est faible. Les faire appliquer est plus coûteux — et souvent irréalisable —, ce qui rend les réformes largement inefficaces. Par ailleurs, sans confiance, les citoyens sont plus enclins à agir de manière à obtenir des avantages individuels au détriment de l'intérêt collectif, par exemple en sollicitant des pots-de-vin, en se dérobant aux tâches publiques, en déversant illégalement des déchets, en accaparant des terres, et ainsi de suite.

À Ceara, au Brésil, la ville a profité de la tenue d'élections municipales disputées pour offrir de meilleurs services de santé. Les gouverneurs aux programmes réformistes ont mis en place une nouvelle équipe d'agents de santé publique qui ont considérablement amélioré les résultats de l'État dans ce domaine. Ils ont abondamment diffusé dans les médias des informations sur la valeur de la santé publique et le rôle de la nouvelle équipe, créant ainsi des attentes et des demandes de la part de la population à l'égard de ces fonctionnaires. Cela a permis de renforcer (et de récompenser) l'engagement des élus en faveur de la réforme et d'inculquer aux agents de santé publique un souci de professionnalisme motivé par la pression des pairs.

Les villes doivent aussi consolider leur capacité budgétaire pour financer leurs programmes d'investissement et de réforme. L'une des caractéristiques de l'élaboration des politiques urbaines est l'ampleur du financement nécessaire pour les infrastructures, dont les coûts d'exploitation à long terme s'ajoutent aux dépenses d'investissement initiales. Au Maroc, la ville de Casablanca a eu recours avec succès à des prestataires délégués pour moderniser les pratiques de gestion, améliorer la qualité des services municipaux et augmenter les investissements dans les infrastructures et les services urbains, contribuant ainsi au dynamisme général de la ville.

Néanmoins, la capacité budgétaire des villes restera limitée tant que le contrat social entre les autorités municipales et les citoyens sera fragile.  Les édiles savent qu'ils disposent d'au moins trois moyens pour mobiliser les fonds nécessaires aux infrastructures et aux services : taxer la valeur des terrains et des propriétés, nouer des partenariats public-privé et lever des fonds sur les marchés financiers. Le principal obstacle est la gouvernance : les autorités municipales devront donc mettre en œuvre des mesures pour renforcer leur légitimité et la confiance.

Les villes des pays en développement peuvent devenir de meilleurs amortisseurs pour leurs habitants, de la même manière que les villes des pays développés le sont devenues.  Le processus peut se révéler ardu, mais c'est possible. Et le moment est venu de se lancer.


Auteurs

Somik Lall

Conseiller principal auprès de l’économiste en chef du Groupe de la Banque mondiale

Jon Kher Kaw

Spécialiste principal du développement urbain, Banque mondiale

Ban Edilbi

Spécialiste du développement urbain, Banque mondiale

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